Que peut-il rester des évènements du mardi 08 Mai 1945 ? A Kherrata, il subsiste des lambeaux de mémoire des rares survivants… et des lieux témoins de cette ignoble boucherie. Des témoins, acteurs et rescapés d’une barbarie, d’une boucherie que l’histoire n’a jamais condamné, que les auteurs n’ont jamais vraiment reconnues. Alors, retour sur l’une des nombreuses pages noires du colonialisme, à travers un récit vivant et émouvant: il s’agit de Lahcène Bekhouche, condamné à mort à Kherrata, au lendemain, des émeutes. A Kherrata, une localité paisible, à mi-chemin entre deux grands pôles urbains, Sétif et Béjaïa, personne ne se doutait donc de rien. La rumeur était gardée au secret.
“Il faisait beau ! évoque Lahcène Bekhouche, scout parmi les scouts”. Kherrata, une ville cernée par les collines, des collines rocheuses, qui lui garantissent la pureté de l’air, la bonté du cœur. Sa relative renommée, elle la doit à ses gorges, ses merveilleuses gorges qui la relient aux autres contrées de Kabylie. Lahcène Bekhouche, un garçon actif de vingt ans, avait déjà connu la prison pour avoir distribué des tracts, en réalité des formulaires destinés à récolter des fonds d’aide aux scouts. Au début, les émeutes ont éclaté à Sétif.
Il s’en est suivi bien sûr une répression dans les rues et les quartiers de la ville. Pendant une semaine, l’armée française, renforcée par des avions et des chars, se déchaîne sur les populations et tua sans distinction.
Lorsque le bus la reliant à Sétif parvient à Kherrata, Lahcène Bekhouche remarque qu’il porte des traces de balles en de nombreux endroits. Un certain Bouhaoui alors propage l’information.
Des villages affûtèrent les hommes et se mirent à incendier des édifices publics.“Moi-même, j’ai mis le feu à la poste et à la justice”, s’enorgueillit Bekhouche, dont la silhouette ne passe jamais inaperçue à Kherrata. “Lorsque les chars ont commencé à semer la mort, nous nous sommes enfuis dans la montagne.
Deux jours plus tard, nous étions de retour, à la faveur d’une prétendue promesse d’indépendance du général de Gaulle”, témoigne-t-il. Rassemblées dans la cour de la caserne, les hommes entendirent le Caïd prononcer des condamnations à mort contre 45 d’entre eux, dont Bekhouche.
Ces derniers subirent les pires sévices. Lahcène a la mémoire tourmentée. Il n’a rien oublié de ce bitume brûlant sur lequel il était couché dans cette caserne, rien oublié des visages livides de ses copains de cellule qu’on emmène pour être achevés dans la montagne, rien oublié du chef des scouts, le Dr Hanouz, liquidé en même temps que ses deux rejetons, rien oublié de la mine effarouchée de ces femmes qui ont dû accoucher sous les ponts de Kherrata, rien oublié de ces Oueds qui puaient la pestilence des cadavres et que les colons arrosaient de sable, rien oublié de ses quatre amis exécutés et bien d’autres.
Finalement, Lahcène Bekhouche restera à la prison de Maison Carrée (El Harrach) jusqu’à l’indépendance du pays, le 05 Juillet 1962. Des année après demeure ainsi l’effort de mémoire de ces hommes. Demeure également l’appel de ces militants, comme Amrane Bedehouche, à la reconnaissance, c’est le moindre des mérites.
Smaïl Chenouf