Tiferdoud n’a pas oublié

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Vingt-cinq ans n’ont pas suffi pour tarir les larmes de Nna Ghenima. Ses yeux n’ont pas séché et sa douleur est encore vivace. La mère de Kamel Amzal parole comme si l’événement douloureux venait juste de se produire. Dans sa maison au village Tiferdoud, où il ne reste plus que les murs et quelques chaises, dans chaque coin de chambre, demeurent les traces du jour de l’inhumation du premier martyr de l’intégrisme. “Ce jour-là, je suis partie paître ; à mon retour, la place du village était noire de monde. En voyant la foule, j’avais eu un pressentiment. Je me suis adressé à un membre de ma famille, lui disant : dis-moi lequel de mes fils est mort”, narre Nna Ghenima comme si le temps s’est arrêté le 2 novembre 1982. Le jour où son fils a été tué par les frères musulmans. Il a été poignardé. Nna Ghenima essuie ses larmes pour rappeler que, depuis ce jour, la tristesse ne les a pas quittés, sa famille et elle. “Madjid (c’est ainsi que tout le monde l’appelait au village) était bien éduqué, c‘était un élève brillant. Il a “sauté” plusieurs fois les classes. Il faisait du théâtre au collège et au lycée Ben Boulaid de Michelet. Il était très attaché à tamazight dès son adolescence”. La dernière fois qu”elle avait vu son fils vivant est sans doute un moment de chagrin indicible. Kamel Amzal était rentré au village à l’occasion de la tête de Achoura. Sa mère explique qu’il est retourné à Alger vendredi et son père est reparti en France le lendemain samedi. “Je lui ai demandé de rester pour partir le lendemain avec son père à Alger ; il m’a expliqué qu’il ne pouvait pas attendre car le samedi, les cours devait commencer à huit heures du matin”, enchaîne Nna Ghenima qui ne peut pas manquer de se souvenir que quand Kamel rentrait d’Alger, il ramenait avec lui ses parts de dessert pour les offrir à ses frères. Pendant le mouvement de 80, le frère de Kamel avait été tabassé à Oued Aïssi. Son père en arrivant en Kabylie a affirmé que s’il avait su que c’était Kamel qui était mort, il se serait jeté dans la Seine. Depuis ce maudit mardi, il n’a jamais retrouvé le sourire. Pour prendre un avocat, le père du martyr a dû vendre son fusil. Par la suite, ce même avocat s’est rétracté et a refusé de plaider, explique la mère qui se souvient de tout. Du nom de celui qui a tué son fils avec un sabre. Ce dernier avait été condamné à huit ans de réclusion criminelle pour être gracié sept ans après par le président Chadli Bendjedid dans le cadre d’une mesure ayant visé les prisonniers politiques. L. F qui a tué Kamel Amzal est monté au maquis. Il a été éliminé par les forces de sécurité en 1994. L’acte ayant ciblé Kamel Amzal impliquait en réalité 21 personnes mais seul L. F a été jugé. Ces derniers avaient au préalable averti tout étudiant qui oserait afficher la déclaration appelant à la création d’un comité des étudiants.

Au village Tiferdoud, personne n’a oublié Kamel Amzal. Même les jeunes parlent de lui avec une grande émotion. A la place du village, la djemaâ, l’oncle de l’ancien étudiant se souvient que quand il apprit la nouvelle; il était à Michelet dans un café : “Je suis monté au village et tout le monde était sous le choc”. Latamen Sadoudi était son ami intime quand il se mit à se remémore “Nous nous sommes vus trois jours avant sa mort. Ce jour-là, c’était particulier car nous avions pris ces photos.

Il a pris avec lui la pellicule pour la développer à Alger”. Kamel Amzal nourrissait-il des ambitions politiques ? “A l’époque, il n’y avait pas d’ambition. Il y avait le combat pour tamazight”, répond notre interlocuteur qui rappelle que Kamel Amzal a été toujours d’un courage exemplaire : “Il se mettait du côté du plus faible”.

B. Hassen n’a que trente-huit ans, il connaît l’intégralité de l’épisode de l’assassinat de Kamel Amzal. C’est lui qui nous conduira jusqu’à la maison du martyr et nous mettra en contact avec les amis de Kamel. Le siège de l’association Kamel- Amzal est situé en face de sa maison. Il est fermé en attendant le réfection des travaux du local. L’APC a débloqué pour ce faire une enveloppe de 350 millions de centimes. Cette association œuvre à rappeler chaque année de Kamel Amzal est la première victime du terrorisme.

Djilali Aït Mamar est un poète qui parle de Kamel Amzal avec émotion. Il a composé un texte à sa mémoire, qui est lu à l’occasion des anniversaires de son assassinat. A Tiferdoud, tout comme partout dans la région de Michelet, Kamel Amzal est un symbole que 25 ans n’ont pas effacé.

A. M.

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