Marches populaires et démarche salutaire

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Etant sollicités à battre le pavé aujourd’hui dans plusieurs wilayas du pays, les Algériens s’interrogent légitimement sur la nouvelle tournure prise par la situation sécuritaire du pays. Bien que, sur le fond, Ahmed Ouyahia, lors de sa prestation télévisée de samedi soir, ait parfaitement raison de ne pas trop dramatiser la situation en faisant valoir que d’autres contrées du pays, moins ‘’médiatiquement rentables’’ que la capitale, ont subi des exactions terroristes au cours de ces dernières semaines. Tizi Ouzou, Bouira, Boumerdès, Aïn Defla et Béjaïa ont eu leur lot de victimes et cela huit mois après la forclusion des délais de la Charte pour la paix et la réconciliation nationale. Il n’y a pas de victimes plus précieuses ou moins regrettables que d’autres. Un mort de plus est un mort de trop. Sauf que sur le plan de l’impact psychologique, de la médiatisation internationale et de la symbolique des lieux visés à Alger, le dernier coup des terroristes a naturellement suscité émoi et profondes appréhensions. Pour les observateurs qui suivent assidûment l’actualité de la lutte sur le terrain, il était fort prévisible que les groupes armés circonscrits et acculés dans les massifs de l’arrière-pays montagneux, où ils ont subi des pertes énormes au cours des ces derniers huit mois, redéploient ce qu’il leur reste de puissance et de capacité de nuisance dans les zones urbaines.

Il faut dire que les commanditaires ont de plus en plus recours à de nouvelles recrues qui ne sont pas connues des services de sécurité ; par conséquent, elles ne sont pas recherchées. Un autre facteur accroît un peu plus la peur des populations et réclame des services de sécurité d’adapter leur combat sur le terrain : il s’agit du phénomène kamikaze. Même si, de par le passé, quelques actions d’éclat ont été menées par ce procédé-le plus spectaculaire étant l’attentat contre le commissariat central du boulevard Amirouche au milieu des années 90 et qui a fait 42 morts-, la machine macabre des terroristes semble réglée désormais préférentiellement sur cette forme de “martyre’’ qui se donne toutes les chances d’emporter le maximum de vies humaines en un court laps de temps.

Paradoxalement, la “matière première’’, c’est-à-dire les jeunes adolescents prêts à servir de bombes, semble être plus “disponible’’ aujourd’hui qu’à n’importe quel moment de la subversion terroriste. C’est à cette étape de l’analyse que sont interpellées les consciences et les intelligences nationales- pouvoirs publics, société civile, école, institutions religieuses, secteur de la santé- pour se pencher sérieusement sur ce phénomène d’une jeunesse qui s’offre en hostie pour des causes qui n’en sont pas. En quoi les marches d’aujourd’hui, “spontanées’’ ou suscitées, pourraient-elles “déranger’’ cette lugubre logique du crime dans laquelle se sont engouffrés de jeunes Algériens par réflexe pavlovien en exécution des ordres de maîtres à penser qui ont juré la fin de l’Algérie républicaine ? Si l’effet de foule peut, un certain temps, remonter psychologiquement les populations, le traitement définitif de la donne terroriste demeurera un travail de longue haleine qui réclame une volonté politique infaillible basée sur les valeurs de l’authenticité algérienne, les acquis de la culture moderne, la justice sociale et une option résolue pour une réelle démocratisation de la société et des institutions. Aucune compromission avec la façade politique des porteurs de l’intégrisme et aucun gage en direction de cette mouvance ne peuvent constituer la solution. Les concessions portant sur la symbolique religieuse-refus de se mettre au week-end universel, appels à la prière retransmis à la TV et à la radio mais sur le méridien exclusif…d’Alger, programmes hypertrophiés d’éducation religieuse à l’école- n’ont jamais pu faire revenir les activistes radicaux à de “meilleurs sentiments’’. Ils y voient plutôt une faiblesse de l’État qu’il y a lieu d’accentuer jusqu’à la chute finale. Outre les marches populaires, l’État est en droit et en devoir de tracer une démarche salutaire pour arracher le pays définitivement des griffes de l’intégrisme et de le projeter dans l’orbite de la modernité.

Amar Naït Messaoud

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