Une éducation balzacienne

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Les régimes totalitaires génèrent des situations parfois tragi-comiques. C’est ainsi que deux jeunes gens de moins de vingt ans sont accusés dans la patrie du grand Timonier chinois Mao d’être des intellectuels. Suprême blasphème qui peut vous valoir une relégation dans un coin reculé du pays pour être rééduqué dans la campagne en goûtant à la vie laborieuse de la classe paysanne. Le narrateur de ce roman intitulé Balzac et la petite tailleuse chinoise, réfute d’emblée cette charge odieuse qui pèse sur lui et son ami car, avec leur niveau moyen (ils n’ont même pas atteint le lycée), ils ne peuvent être considérés comme des intellectuels. Malgré leur protestation, ils vont être déportés dans une région qui répond à la douce appellation de la montagne du phénix du cil. Là, ils seront maltraités par le chef du village qui voit dans ces deux intrus venus de Pékin, le mal absolu en incarnant la contre-révolution.Réduits au travail dans les profondeurs d’une mine ou à transporter les immondices des villageois pour servir d’engrais à la terre, ils ne trouvent le repos que dans leur petite cabale en évoquant de vieux souvenirs ou en jouant quelques notes de musique avec un violon.Un objet étrange et magique aux yeux des villageois. Mais dès fois, le hasard fait bien les choses quand le chef du village les envoie dans le village voisin voir un film et revenir le raconter dans son intégralité et sa durée réelle aux paysans de la montagne du phénix du ciel.Là, Luo et le narrateur vont se donner à fond et restituer dans les moindres détails toutes les scènes du film. Après cet examen qu’ils ont réussi avec brio, le chef les exempta des grandes corvées pour se consacrer à ce nouveau boulot de raconteurs de films.Sur ces entrefaites, un troisième personnage fait son apparition, c’est la petite tailleuse, fille elle-même du tailleur attitré de toute la région. Luo la séduit en lui racontant des films et pour conquérir définitivement son cœur, il lui fait découvrir les romans de Balzac. Dans cette Chine qui faisait sa révolution culturelle, tous les livres qui ne portaient pas la signature du grand Mao furent interdits ou brûlés.Les deux compères se procurèrent une malle pleine de ce produit prohibé en la subtilisant au rejeton d’un écrivain et d’une poétesse. Grâce à l’auteur de la comédie humaine, elle fait sa métamorphose. D’abord, en copiant les modèles de vêtements décrits par l’auteur. Ces modèles deviennent rapidement très prisés par paysannes de cette lointaine contrée.Ensuite jouant à Madame Bovary, la petite tailleuse trouve que son village est très petit pour contenir ses rêves de grandeur et décide de le quitter. Son amoureux chagriné part à sa recherche. Ce roman qui est un véritable hymne à la littérature romantique, renforce encore une fois l’idée que les livres peuvent changer le destin de chacun de nous et que la lecture peut sauver les âmes tourmentées.

Slimane Ali Sidhoum

Balzac et la petite tailleuse chinoise aux éditions Gallimard

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