Les fontaines, un patrimoine commun et multifonctionnel

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Une grande partie de l’histoire du village Djemâa Saharidj, relevant de la commune de Mekla, est conditionnée par ses ressources hydriques.

Cette denrée précieuse a fait objet de convoitises par les divers conquérants et colonisateurs de l’Afrique du Nord. A commencer par les Romains qui ont baptisée la région, il y a près de 20 siècles, «Bida minicipium» du latin qui signifie «municipalité des eaux».

A l’ère des Numides, ce village fut la capitale de l’une des plus anciennes tribus berbères ayant fait opposition aux Romains, à savoir les Aït Fraoussen.

Durant la présence ottomane, les Djemmâouis, comme on aime les appeler localement, ont mené une résistance farouche contre les collecteurs d’impôts envoyés par le pouvoir central de la Régence d’Alger, sachant que leur territoire a toujours occupé une place stratégique, puisqu’ il était à la confluence de plusieurs grandes tribus de Kabylie.

Le village est connu aussi pour avoir organisé en 1748 un conclave, sur l’exhérédation des femmes de l’héritage des terres, auquel tous les archs de la Kabylie avaient pris part. Cela n’a pas empêché de constater la présence turque dans la région, notamment quand on observe l’architecture de la zaouïa sise au centre dudit patelin tout près de quelques grandes sources.

Son attractivité territoriale pendant la colonisation française lui a permis d’accueillir la première école en 1883, dans la région de Mekla. Au 20ème siècle, ledit village est connu à l’échelle nationale pour les hommes et femmes qu’il a enfantés, à l’instar d’Ouali Bennaï, militant berbère et militant nationaliste, Aïssat Idir, fondateur de l’UGTA, Cheickh Arab Bouzgarene, chanteur kabyle, etc.

Par ailleurs, le tissu économique local est constitué d’un nombre important de très petites entreprises de commerce et de service et d’exploitations évoluant dans l’agriculture de montagne (arboriculture, gros et petits élevage…) et de piedmonts (pastèque, melon, maraîchage…). Les métiers traditionnels sont aussi ressuscités, comme la vannerie et la poterie.

Les Djemâaouis bénéficient aussi de la proximité de plusieurs infrastructures et services publics, puisque leur village abrite deux lycées et deux CEM, un centre de formation, un bureau de poste, un dispensaire, deux pharmacies…Cela s’accompagne de plusieurs opportunités d’investissements dans plusieurs domaines (commerce, petite industrie, tourisme, artisanat) et renforce le rayonnement du village au niveau de Mekla.

Un bien «éco-fragile»

Djemâa Saharidj est la terre des fontaines, c’est le moins qu’on puisse dire pour un village qui en compte 99, quoiqu’un tel nombre ne fait pas l’unanimité auprès des villageois. Si la géologie y a permis la formation des sources, les habitants de la région ont la responsabilité et le devoir intergénérationnels de les aménager, de les réhabiliter et de les préserver comme étant un bien commun éco-fragile.

Quasiment tous les quartiers du village ont au moins une à deux sources, les plus connues sont : Thala Meziyen, Thala Moumen, Thala Biâamrane, Thala Helaoua, Thala Madhal, Thala Muqran, Thala Umizab… Au-delà de la production d’eau potable indispensable à la vie, la multifonctionnalité est assignée à ces fontaines, elles sont aussi sources pratiques et de représentations ancrées dans l’imaginaire collectif et les us des villageois.

Le premier registre fonctionnel est paysan ; l’eau de ces sources est mobilisée pour l’irrigation des petites surfaces agricoles fourragères et potagères, mais aussi pour l’abreuvement des animaux d’élevage (bovins, ovins et caprins) et ce, durant toute l’année. Le deuxième registre est artisanal, qui est le fait des artisans potiers de la région, quoique, ce métier tend actuellement à disparaître dans le village de Djemâa Saharidj.

La troisième fonction des fontaines est d’ordre sociétal, puisque la fontaine est le lieu de rencontre des villageois notamment des femmes qui y viennent faire le lavage de leur literie et leurs vêtements personnels et d’ailleurs, certaines fontaines sont dédiées uniquement aux femmes comme Thala Umizab, Thala muqran et une moitié de Thala Meziyen.

La fonction sociétale est matérialisée aussi par l’accès qu’ont les autres villageois environnants à l’eau de ces fontaines à l’instar de Megheira, Mesloub…La cinquième fonction renvoie aux pratiques de guérisons traditionnelles permises par l’eau de certaines de ces sources, à l’instar de Thâawint n Sidna Moussa où l’on prend des bains contre les maladies de peau.

Enfin, la dernière fonction à souligner est d’ordre identitaire : certaines pratiques donnent le cachet traditionnel au village comme le remplissage de bouteilles par tous les citoyens du village, l’organisation de repas collectifs et de «Timcret» pour recevoir la bénédiction des gardiens de ces fontaines…Ce cachet traditionnel lui a valu l’organisation de plusieurs évènements, d’envergure régionale, comme la neuvième édition du festival «Raconte-arts», les éditions du mois du patrimoine.

Ce patrimoine multifonctionnel est toutefois menacé tant par les cycles de stress hydrique que par certaines pratiques de l’Homme liée notamment à l’urbanisation du village et à la poussée démographique qu’il connaît. Pour cela, une dynamique associative pour la protection de ces sources, doit être insufflée, émanant de la société civile.

Ahmed Kabene

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