Les raisons d’une flambée…

Partager

Surnommée jadis repas du pauvre, la sardine garnissait bien souvent les tables des petites bourses.

Ce qui n’est plus le cas aujourd’hui où même les bourses moyennes ne se la permettent que très rarement. Pourtant, la Kabylie dispose de 85 kilomètres de côte et est dotée de deux ports de pêche : celui de Tigzirt et d’Azeffoun. Sa flotte de pêche, bien qu’elle ne soit pas importante, peut toujours alimenter le marché en sardines, et à bas prix, si les moyens adéquats sont mis à disposition. Les familles vivant avec un salaire de smicard, surtout celles qui habitent la côte, se permettaient, il y a quelques années, de s’offrir des kilos de sardines deux à trois fois par semaine. Généralement frite, en boulettes concassées avec du riz ou carrément grillée, elle ne coûtait pas vraiment cher à l’époque où elle affichait 80 à 120 DA/Kg. Pour les plus démunis, ils se la permettaient au moins une fois par semaine et bien plus parfois, sachant que les poissonniers s’en «débarrassaient» juste avant l’heure règlementaire de cessation de vente. En effet, la sardine est interdite de commercialisation après 10 heures. D’ailleurs, à l’époque, les chargés de contrôle de ce marché passaient avec des bouteilles de grésil avec lequel ils arrosaient les cageots des vendeurs récalcitrants, rendant ainsi le produit invendable. Plusieurs personnes interrogées se souviennent que, dans le dénuement du passé, leurs mamans les envoyaient au port ou au marché avec un récipient que les poissonniers remplissaient généreusement et surtout gratuitement, après 10 heures. Concernant les bourses moyennes qui l’avaient toujours ou presque au menu, elles sont, depuis quelques années, également touchées par la flambée du prix de ce produit. Akli, comptable à la retraite, raconte : «Une fois, en rentrant chez moi après les courses matinales, ma fille m’a demandé 560 DA pour l’achat d’un kilo de sardines. Un poisson dont raffole son petit frère. Avec un tel coût, je ne pouvais que refuser. Inutile de gâter le petit à ce prix-là il risque d’en redemander tous les jours ! Je préfère lui donner 450 DA pour acheter un poulet rôti garni, au restaurant. Toute la famille en mangera et madame n’aura pas s’activer derrière les fourneaux». Au fait, pourquoi la sardine coûte-t-elle aussi cher ? Une virée au port de Tigzirt n’aura servi à rien. Aucun pêcheur ne travaille dans la sardine. La raison est toute simple : «Nous n’avons aucun sardinier ? La passe vers la baie du port ne permet pas à un sardinier de passer, la profondeur fait défaut et, en plus, elle s’ensable. Seuls les ports de Dellys et d’Azeffoun peuvent permettre aux sardiniers de pratiquer leur pêche», indique un pêcheur. Dans les poissonneries de Tigzirt, l’on se ravitaille en sardines depuis le port de Dellys et parfois de Zemmouri, alors que l’on a les pieds dans l’eau. Il est tout à fait logique que les prix s’envolent et que les sardines se fassent pousser… des ailes, au vu, notamment, des charges de transport. Il n’est pas étonnant de voir le marché de poisson de Tizi-Ouzou bien plus garni en sardines, avec des prix plus ou moins abordables, que celui de Tigzirt. Et pourtant, la ville de Tizi-Ouzou n’a jamais reniflé l’air marin. Et les restaurants ? Depuis quelques années, des restaurants «spécialité sardine» poussent comme des champignons. A leurs débuts, le plats de sardines-frites coutaient 80 DA, puis 120 DA, 150 DA… La hausse s’en est allée crescendo jusqu’à atteindre, aujourd’hui, les 250 DA, voire plus. Karim, un restaurateur à Tigzirt, qui fait recette à 80% de la sardine, souligne : «Franchement, ça me dérange de pratiquer de tels prix. Ma clientèle est composée d’ouvriers en majorité : manœuvres, fonctionnaires payés au filet social… Ils sont très fidèles, mais comment voulez-vous que je serve un plat de sardine à 120 DA, alors que je paye le kilo entre 600 et à 700 DA ?!». Dans cette histoire de flambée, il y a au moins une égalité : personne n’y trouve son compte, ni les petites et moyennes bourses, ni les pêcheurs et les restaurateurs…

Ferhat Tizguine.

Partager