Comment encadrer les nouvelles ambitions économiques ?

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Sous le sceau des impératifs de faire face à la crise économique, dans laquelle l’Algérie est plongée depuis un an et demi, tous les appareils de l’Etat, les acteurs économiques et la société civile sont censés se déployer pour exploiter toutes les potentialités du pays situées en dehors de la sphère des hydrocarbures. Mais, comment rendre possibles une telle démarche et une telle vision lorsque l’appareil administratif du pays, duquel dépendent tous les efforts tendant à faire valoir d’autres alternatives, peine à se mettre au diapason des enjeux de l’heure? Que l’on ne se méprenne pas sur la dimension et la portée des opérations de numérisation ayant touché certaines pièces d’Etat civil. Avec l’aisance financière que le pays a vécu pendant plus de dix ans, ce pas aurait dû être franchi depuis longtemps, et on serait aujourd’hui amené à faire les derniers réglages pour accompagner ce qui est supposé être une « nouvelle économie », celle qui ne « respire » plus par la rente. Ces réajustements ne viennent pas encore. Le nouveau code des investissements n’est pas encore examiné par l’APN, et l’administration censée encadrer les changements proposés dans ce projet souffre encore de moult aléas, faisant d’elle une lourde machine bureaucratique, avec, en sus, une pléthore du personnel, évaluée dernièrement par le ministre du Travail à un million de fonctionnaires. Budgétivore, lourde et inefficace, l’administration publique a « consommé » tous les griefs qui lui sont décochés sans qu’elle n’initie un véritable mouvement de réformes. Lors du remaniement ministériel intervenu en septembre 2013, on lui a réservé tout un ministère sous l’intitulé « ministère chargé de la Réforme administrative ». Il n’a duré que quelques mois. On a jugé sans doute sincèrement, que chaque secteur de l’administration devait et pouvait se « réformer » seul, sans organe de coordination centralisée. Cela reste à démontrer. On a entendu le Premier ministre, Abdelmalek Sellal, lors de certains de ses déplacements dans les wilayas, appeler à la fin de la « dictature bureaucratique », un concept que la presse n’a pas hésité à malaxer et intégrer dans le registre de l’humour devenu familier à Abdelmalek Sellal. Pourtant, la qualité et le niveau des services publics algériens, et singulièrement ceux liés directement aux prestations de l’administration publique, laissent peu de place à l’humour, tant le stress et la colère qu’ils nourrissent sont devenus légendaires; si bien qu’un journal a pu ironiser en parlant de « sévices publics ». Même dans le ton de ses constats, le Premier ministre adopte parfois un style plaintif, au même titre que la manière dont réagit n’importe quel citoyen acculé par des pratiques administratives rigides et dissuasives. En effet, la réalité des différents bureaux censés assurer des services publics en direction des citoyens, est des plus absurdes, proche de ce que la littérature occidentale a intégré sous le nom de situation kafkaïenne. Le parcours de citoyens qui se mettent à compléter un dossier administratif est semé de moult embûches, émanant aussi bien de la part de l’organisme qui lui réclame le dossier, que des services (APC, daïra, wilaya, service fiscal,…) sollicités pour l’établissement des pièces du dossier. Incontestablement, ces quelques symptômes grevant la marche de services locaux, supposés proches des habitants et de la société renseignent, on ne peut mieux, sur l’étendue du mal affectant le reste des volets de l’administration publique en ce début du vingt-et-unième siècle, pour un pays qui a lancé pendant quinze ans, des mégaprojets en millions et en milliards de dollars, y compris dans certains domaines liés à la modernisation/numérisation des supports graphiques. Cependant, lorsque la ressource humaine n’est pas au niveau exigé et manque terriblement de formation, même les meilleures technologies ne rendront pas de services optimums pour les Algériens. Il en est ainsi de l’expérience menée sur la numérisation de l’état civil dans plusieurs communes. Les erreurs entachant la transcription de certains noms et prénoms- voire même le sexe, la date et le lieu de naissance-, nous replongent dans la nostalgie du vieux papier des registres écrits avec la plus Sergent-major. Les affaires portées devant la justice pour corriger ce genre d’erreurs sont en train de se multiplier à grande vitesse. La plupart des projets de modernisation des prestations de l’administration sont demeurés un vœu pieux. Au moment où le pays passe à la troisième génération (3G) dans la communication internet, et se prépare à lancer la 4G, une grande partie des structures administratives travaillant directement avec le public sont en retard d’une bataille numérique, outre de grands déficits de formation au profit des personnels destinés à manier les outils de la communication moderne. L’exemple le plus édifiant dans les daïras où sont formulés des projets de développement rural intégré (PPDRI), est bien la gestion du site relatif au suivi de ces projets, site portant le nom de SI-PSSR (Système d’information du programme de soutien au renouveau rural). À défaut de la connexion internet, de la disponibilité de techniciens informatiques compétents et de la volonté réelle des gestionnaires, rares sont les daïras qui saisissent leurs données sur ce site, directement lié au siège du ministère de l’Agriculture et du Développement rural. La mission a fini par être prise en charge par les conservations des forêts. Sur ce site, les cadres du ministère suivent instantanément la formulation, la validation et l’approbation des projets de proximité tout en ayant accès aux données les plus détaillées (nombre de ménages concernés, le nom de l’animateur de projet, la nature des actions programmées,…).

Déliquescence et sous-développement des services publics

La « dictature de la bureaucratie », pour reprendre la formule de A.Sellal, a développé ses tentacules dans toutes les ramifications de l’administration. Cette dernière est prise dans son acception la plus large (mairie, daïra, différents services de la wilaya, impôts, Sonelgaz, ADE,…). L’incompétence et le sous-développement qui grèvent de leur poids l’administration de notre pays a naturellement induit sa part de prévarication et de corruption au sein du personnel y exerçant. Cela commence à partir d’une banale pièce d’Etat civile, jusqu’à la « grâce » fiscale dont peut bénéficier un commerçant, suite pourtant à un redressement fiscal établi en bonne et due forme. Cela se monnaye en proportion de la gravité du redressement. C’est ce qu’un commerçant grossiste a justement appelé le… »juste prix », qui ira dans la poche du fonctionnaire des impôts. L’actualité de ce mois de février nous a bien édifiés sur ce genre de pratiques. Quelques titres de la presse en ont fait leur « choux gras ». Les commis de l’État et les élus, y compris des présidents d’APC, à qui sont tendus des souricières par les services de sécurité suite à un refus de certaines personnes de payer la « rançon », sont malheureusement une minorité qui, indéniablement, renseigne sur les viles pratiques adoptées par un grand nombre de fonctionnaires et qui se prélassent dans l’impunité. Depuis que l’Algérie était « grisée » par ses recettes pétrolières- plus de 60 milliards de dollars/an jusqu’en 2014- et que les projets publics se multiplient à vue d’œil, tout paraissait se monnayer, au détriment de la morale, de la vie des citoyens et de la crédibilité de l’État. Ainsi, la déliquescence et la grave altération des services de l’administration publique sont, à coup sûr, le miroir insolent de la terrible chute aux enfers de l’État dans ses attributs les plus nobles (autorité morale, force coercitive, crédibilité et esprit d’équité). Il s’ensuit que tous les projets et programmes orientés vers les réformes politiques et économiques risquent de perdre leur souffle, leur vigueur et leur crédibilité du fait d’une bureaucratie cramponnée aux intérêts les plus sordides des personnes incarnant les services publics dans notre pays. Outre le phénomène de corruption qui a gangrené de larges secteurs de l’administration, le déficit de formation et le manque de relève suite au départ massif à la retraite des anciens cadres risquent d’hypothéquer le redressement de l’administration publique, de compliquer et de rendre aléatoire l’encadrement des missions tendues vers la recherche de nouvelles alternatives économiques.

Amar Naït Messaoud

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