Le bijou et l'envers de la tapisserie

Partager

Les fêtes du bijou, du tapis, de la poterie, de la figue et des cerises se suivent, au rythme d'un calendrier presque régulier, dans les villages kabyles qui leur donnent leurs lettres de noblesse.

Par Amar Naït Messaoud

Elles se suivent en exposant les produits de nos artisans, issus d’un labeur peu rémunérateur et exposés à tous les risques et aléas d’un environnement économique instable. En ce milieu du mois d’août, ce sont deux manifestations de grande envergure, la fête du bijou et la fête du tapis, qui s’ouvrent au grand bonheur des artisans-producteurs et des visiteurs. Contrairement au mois du patrimoine, déclaré comme tel par l’administration, entre les 18 avril et le 18 mai de chaque année, l’activité des bijoutiers, des tapissiers, des vanniers, des potiers, hommes et femmes, n’est pas circonscrite dans le temps. Elle s’inscrit dans les profonds remplis de la mémoire ancestrale, remontant à plusieurs siècles et intégrant simultanément les dimensions esthétique/culturelle et économique. À côté de la langue et de ses productions (contes, poésies, parémiologie), le produit d’artisanat constitue une pièce sigillée qui porte la personnalité et l’âme d’un peuple? C’est pourquoi, il serait inconcevable qu’il subisse, sans aucune forme de protection, les lois les plus prosaïques des transactions commerciales. À commencer par ces fameuses importations à tout va auxquelles la rente pétrolière à donné une élasticité quasi infinie. Ce qu’a révélé vendredi dernier à Ath Yenni le directeur du Tourisme de la wilaya de Tizi Ouzou, a savoir que des bijoux cancérigènes seraient importés de Chine, n’est pas à ranger dans le registre de l’anecdote. Nous connaissons toutes les variétés de  camelote qui envahissent l’Algérie depuis la Malaisie, l’Inde et la Chine sans aucune forme de contrôle. Pour exporter vers l’Europe et l’Amérique, prennent mille précautions qu’ils ne prennent pas avec notre pays. Outre le doute sur la qualité sanitaire de ces produits, il serait irresponsable de continuer à accepter que le secteur de l’artisanat en Algérie, sous toutes ses déclinaisons, souffre davantage des produits d’importation, d’autant que, souvent, ces produits étrangers, ne relèvent pas d’une activité artisanale stricto sensu de leurs pays d’origine; une grande partie de ces produits est le résultat d’un processus technique semi-industriel ou totalement industriel. C’est ainsi que nos quincailleries et autres magasins de vaisselle se trouvent inondés de gadgets et autres  joujoux décoratifs venant de plusieurs horizons culturels et économiques. Et si l’on devait se poser la question de savoir comment les produits ‘’artisanaux’’ de ces pays lointains ont pu trop facilement avoir pignon sur rue en Algérie? Autrement dit, est-on fondé à prendre pour logique et normale le fait que, en dehors des fêtes, foires et expositions de quelques jours, il y ait très peu de production algérienne qui soit exposée dans les magasins, commercialisée et exportée dans le domaine de l’artisanat et du savoir-faire ancestral ?  La fragilité dans laquelle plongent les métiers ancestraux fait que notre culture peine à se faire valoir auprès des autres peuples. Pourquoi n’évoque-t-on ces métiers et leur production seulement au passé lorsque l’occasion se prête pour que les historiens et les journalistes versent dans l’ «ethnologie’’. Mouloud Mammeri a attiré notre attention sur le danger d’un regard ethnologique sur notre société qui ne présenterait ses activités, sa personnalité et son savoir-faire que dans un moment figé de l’histoire, renvoyant tout dans ce concept flou, peu ambitieux et ambigu qui a pour nom ‘’patrimoine’’. Pour qu’il n’en soit pas ainsi, notre patrimoine vivant, transmis de père en fils et de mère en fille, doit être développé promu, soutenu. Les Algériens seraient-ils handicapés et perclus à telle enseigne que, concomitamment avec la haute technologie de l’ordinateur et des tablettes numériques, ils acceptent de devenir également de simples consommateurs, des utilisateurs dociles de tous les autres produits étrangers, y compris de ces joujoux abusivement classé dans la catégorie de l’artisanat. 

Une dommageable indolence économique

Si les producteurs nationaux, les artisans qui n’ont que leur savoir-faire, et également tous ceux qui tiennent à la revivification de notre authenticité déplorent unanimement l’état dans lequel se trouve actuellement l’un des secteurs les plus symboliquement chargés de l’âme et de la personnalité algériennes, tout en faisant état de son indolence économique qui met en danger la source de revenu de plusieurs milliers de ménages, l’effort de réflexion devra aller plus loin, au-delà des constats qui reviennent chaque année lors des journées et fêtes officielles. L’on se souvient de cette âpre réalité déplorée avec une désillusion bien visible par l’ancien président de l’APC d’Ath Yenni, Nacer Tabeche, devant deux ministres venus assiter à la Fête du bijou en 2004 : ‘’Que de promesses non tenues, que d’engagements non respectés pour venir en aide à nos artisans, notamment dans les domaines des matières premières (argent, corail), de réduction des taxes, de correction fiscale et de débouchés à l’étranger d’un label de qualité. À chaque édition, les mêmes problèmes restent posés«. Aujourd’hui, les artisans voudraient bien croire aux engagements de l’administration, particulièrement ceux exprimés vendredi dernier à Ath Yenni même par le directeur du Tourisme de la wilaya, lorsqu’il assure que ‘’l’apport de la direction du Tourisme et de l’Artisanat sera à la hauteur de cet héritage ancestral, dont le pérennisation, la sauvegarde et la promotion passent par l’acquisition des équipements de la bijouterie, en collaboration avec le Fnapat (fonds national de promotion des activités de l’artisanat)‘’.  Les mêmes cris d’alerte et d’appel à assistance sont lancés par d’autres catégories d’artisans un peu partout en Kabylie et en Algérie. Il y a lieu de remarquer que la part de l’artisanat dans les projets de proximité de développement rural intégré (PPDRI) est, sur le terrain, réduite à la portion congrue, même si les textes et les orientations du ministère de l’Agriculture sont explicites dans ce domaine. Parmi les thèmes fédérateurs des ces projets, il y en un qui porte spécialement sur le développement du patrimoine matériel et immatériel. Cependant, le manque de formation de certains agents, le déficit de coordination entre les acteurs et le défaut de communication affectant ce volet important ont fait que ce dernier est mal pris en charge. La même situation de stand-by est vécue dans l’autre volet, celui de l’écotourisme, censé contribuer au développement de l’artisanat. Les sites naturels des montagnes (grottes, gouffres, pelouses alpestres, falaises, belvédères, lacs), la faune  (singes magots, rapaces) et la flore (cèdres, pin noir) constituent, avec les produits d’artisanat et du terroir, un continuum censé servir tous les acteurs qui y sont impliqués. Aujourd’hui, l’administration semble s’embourber dans la délimitation des zones et sites touristiques (ZEST) et des études y afférentes, alors que des demandes d’investissement dans le secteur sont demeurées sans suite. Après les galas et autres cérémonies festives programmés à Ath Yenni et à Ath Hichem, quelle plus-value, sur le plan du soutien et de la promotion, dont auront pu bénéficier les artisans de ces régions et ceux qui sont venus des autres wilayas ?

A. N. M.

Partager